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 title: Lancement du site
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 excerpt: Le voilà enfin ce site !
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 pub_date: 2016-04-02
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-modified: 2016-04-02
+modified:
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+2016-04-02
 tags: [meta, site]
 comments: true
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content/posts/memoire-charte/contents+fr.lr

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+body:
+
+Chez les exégètes amateurs, le rythme est soutenu. Nos mémoires dans la
+procédure contre les décrets de la loi renseignement [à peine déposés],
+nous dédions notre attention au dépôt d’un nouveau [mémoire] dans la
+procédure contre le refus tacite du gouvernement d’abroger les
+dispositions règlementaires organisant le régime de conservation des
+données de connexion par les intermédiaires techniques.
+
+Si vous n’avez rien compris à la fin de cette dernière phrase,
+rassurez-vous ! La plupart d’entre nous n’a rien compris non plus la
+première fois qu’un exégète proposa de se pencher dessus.
+
+Alors, on va d’abord faire un petit point sur la procédure dans laquelle
+ce dernier mémoire s’inscrit avant de vous décrire le pourquoi de ce
+nouveau mémoire et son contenu.
+
+Avertissement : ce billet est plein de digressions et de points de
+droit. Mais vous allez peut-être apprendre des trucs. C’est pour ça
+qu’on a fait ce site et c’est pour ça que nous publions nos mémoires.
+
+Contexte
+========
+
+Après les attentats de Madrid en mars 2004 et de Londres en juillet
+2005, l’Union européenne adopta la directive 2006/24/CE, créant un
+principe de conservation généralisée des données de connexion, pour une
+durée allant de six mois à deux ans.
+
+À l’époque, les critiques dénonçant l’incompatibilité de ces
+dispositions avec le respect des droits fondamentaux furent nombreuses.
+Plusieurs lois de transposition nationales furent ainsi déclarées
+inconstitutionnelles en Roumanie (2009), en Allemagne (2010), en
+Bulgarie (2010), à Chypre (2011) et en République Tchèque (2011).
+
+Finalement, le 8 avril 2014, la Cour de justice de l’Union européenne
+(CJUE) jugeait dans l’arrêt Digital Rights que ladite directive était
+invalide car contraire à [la Charte des droits fondamentaux de l’Union
+européenne].
+
+Pourtant, les dispositions françaises de conservation des données de
+connexion par les intermédiaires techniques subsistent. L’invalidation
+de la directive européenne n’a pas entrainé automatiquement celle des
+dispositions françaises.
+
+Point sur la procédure contre le refus d’abrogation de la rétention des données
+===============================================================================
+
+La rétention généralisée des données de connexion
+-------------------------------------------------
+
+Tout d’abord, sur le fond[^1], cette procédure vise à mettre fin au
+régime français qui impose aux intermédiaires techniques (opérateurs et
+hébergeurs) de conserver des données sur tout le monde pendant un an.
+
+Pourquoi impose-t-on cela aux intermédiaires ? Au cas où dans les 365
+jours qui suivent, l’autorité (administrative ou judiciaire)
+souhaiterait y accéder. La logique de cette mesure imposée aux
+intermédiaires techniques, c’est qu’on ne peut pas savoir à l’avance qui
+va être soupçonné de quoi ; donc, il faut garder des données sur tout le
+monde.
+
+Récemment, le gouvernement français est intervenu devant la Cour de
+justice de l’Union européenne pour défendre le principe de la rétention
+généralisée des données de connexion. Pendant son intervention, le
+gouvernement a poussé sa logique encore plus loin en [allant carrément
+dans l’absurde] : en gardant des données sur tout le monde, il estime
+qu’on peut aussi s’en servir pour les droits de la défense, pour
+permettre au suspect de prouver son innoncence ! En droit, c’est le
+monde à l’envers : la fin de la présomption d’innocence. On ne doit plus
+prouver la culpabilité du suspect, c’est désormais au suspect de montrer
+qu’il est innocent.
+
+Pendant ce temps, cette suspicion généralisée n’a toujours pas fait
+preuve de son efficacité au-delà des discours politiques, tandis que le
+[rapport] de l’homologue britannique de la CNCTR démontre que la
+rétention généralisée des données engendre de nombreuses erreurs portant
+parfois sur des accusations extrêmement graves.
+
+La procédure contre le refus tacite d’abrogation
+------------------------------------------------
+
+Pour remettre en cause les lois françaises imposant aux intermédiaires
+la rétention des données de connexion, nous avons utilisé une procédure
+peu habituelle.
+
+Si vous suivez un petit peu ce qu’on a fait [contre la LPM] ou ce qu’on
+fait contre [la loi renseignement], vous savez que toute personne peut
+saisir le Conseil d’État d’un [recours en excès de pouvoir] contre le
+gouvernement qui prend un décret. L’un des axes d’attaque pour démontrer
+l’illégalité du décret est le manque de base légale. Ce manque de base
+légale peut notamment résulter de l’invalidité de la loi que le décret
+applique. Cette invalidité peut elle-même résulter notamment de
+l’incompatibilité de la loi avec la Constitution — il faudra alors faire
+une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) — ou encore de
+l’incompatibilité de la loi avec le droit de l’Union européenne, la
+Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ou avec un
+autre traité international.
+
+Or ici, ce n’est pas ce qu’on fait. Pourquoi ? Simplement pour une
+question de délai. En effet, on ne peut pas saisir le Conseil d’État
+lorsque le décret a été publié il y a plus de deux mois[^2] — c’est la
+forclusion.
+
+Alors il y a une autre possibilité. Cette voie alternative est ouverte
+depuis 1989 par l’arrêt [Alitalia] du Conseil d’État. Elle consiste à
+demander au gouvernement d’abroger une disposition règlementaire (par
+exemple, un décret). Si cette disposition règlementaire est contraire au
+droit (par exemple, une décision de la Cour de justice de l’Union
+européenne), alors le gouvernement est tenu d’abroger la disposition en
+cause.
+
+Si le gouvernement ne le fait pas, cela signifie qu’il laisse subsister
+dans l’ordre juridique une illégalité. Le remède consiste à attaquer la
+décision de ne pas corriger cette illégalité.
+
+Telle est la situation sur le régime français de rétention généralisée
+des données de connexion, suite à l’arrêt [Digital Rights Ireland et
+Seitlinger] de la Cour de justice de l’Union européenne rendu en avril
+2014.
+
+Le 27 avril 2015, FDN, La Quadrature du Net et FFDN ont donc [demandé au
+gouvernement d’abroger] l’article R. 10-13 du code des postes et des
+communications électroniques ainsi que le décret n° 2011-219 du 25
+février 2011 pris en application de la LCEN.
+
+Nous avons reçu une réponse comme quoi le dossier avait été transmis au
+ministère de la justice. Puis, rien. Le délai légal de deux mois pour
+répondre s’est écoulé, sans retour du ministère. S’ouvrait alors un
+autre délai de deux mois pour saisir le Conseil d’État et contester le
+refus tacite du gouvernement d’abroger les dispositions invalides en
+cause.
+
+Nous avons donc déposé une [requête introductive], dans laquelle nous
+avons annoncé la production ultérieure d’un [mémoire ampliatif] dans un
+délai de 3 mois.
+
+Depuis le 27 novembre 2015, le gouvernement a eu la possibilité de nous
+répondre. Il ne l’a toujours pas fait.
+
+[La procédure] suit son cours. Privacy International et le Center for
+Democracy and Technology nous ont rejoint par une tierce intervention,
+en déposant des mémoires venant appuyer nos demandes.
+
+Pour ne pas rester dans l’attente, nous avons donc décidé de remettre
+les mains sur le dossier et de produire un mémoire précis sur un point
+de droit.
+
+Résumé sur le mémoire complémentaire relatif à l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de l’UE
+===========================================================================================================
+
+Ce petit billet est plein de digressions. En voici encore une.
+
+Pourquoi avons-nous fait ce mémoire sur ce point si précis ? Pour le
+comprendre, il faut remonter à notre précédente procédure, celle contre
+le décret d’application de l’article 20 de la loi de programmation
+militaire, dite LPM (dont on retrouve des bouts dans la loi
+renseignement, intégrés au chapitre *accès aux données* de connexion du
+code de la sécurité intérieure).
+
+Bien qu’il s’agissait d’accès aux données par les services de
+renseignement et non de *conservation imposée* aux intermédiaires
+techniques, les deux questions sont liées. Dans ce recours, nous avions
+donc déjà abordé la question de la jurisprudence de la Cour de justice
+de l’Union européenne au soutien de nos arguments.
+
+Mais dans [sa décision], le Conseil d’État a totalement esquivé la
+question de l’applicabilité de la [Charte][la Charte des droits
+fondamentaux de l’Union européenne] des droits fondamentaux de l’Union
+européenne (voir la [réaction] de La Quadrature du Net). Il s’est ainsi
+autorisé à ne tirer aucune conséquence des récents arrêts de la Cour de
+justice de l’Union européenne basés sur l’application de cette Charte.
+Exit la décision *Digital Rights Ireland*. Exit la décision *Schrems*
+d’octobre 2015. Comme si ces décisions n’avaient pas existé et que la
+Cour de justice n’avait pas clairement remis en cause l’absence de
+garanties fortes et de limitations importantes aux mesures des États
+consistant à accéder à des données de connexion — données dont le
+caractère intrusif et révélateur de la vie privée des personnes a
+maintes fois été démontré (voir encore récemment cette [étude mentionnée
+par Le Monde] qui se concentre sur les données de connexion relatives à
+la téléphonie).
+
+C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer un court mémoire à la
+démonstration de l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de
+l’Union européenne au dispositif français de conservation des données.
+Il s’agit, d’une part, d’anticiper une potentielle réponse du
+gouverne-ment qui ne manquera probablement pas d’insister sur l’aspect
+« sauvegarde de la sécurité nationale » pour tenter de démontrer que
+l’obligation de rétention des données n’est pas concernée par l’ordre
+juridique de l’Union européenne.
+
+Il s’agit, d’autre part, de mettre le Conseil d’État face à ses
+obligations : le Conseil d’État doit faire l’application du droit
+européen tel qu’il s’impose à lui et tel qu’interprété par la Cour de
+justice de l’Union européenne. Or, comme pour toute juridiction dont les
+décisions ne sont pas susceptibles de recours en droit interne, le
+Conseil d’État a l’obligation de faire un renvoi préjudiciel à la Cour
+de justice dans le cas où sa décision dépendrait d’une difficile et
+sérieuse question d’interprétation du droit de l’UE.
+
+Toutefois, nous pensons qu’il n’y a ici aucune question
+d’interprétation, puisque la Cour de justice a déjà apporté des réponses
+absolument claires sur l’applicabilité de la Charte. Ce sont les
+arguments que nous faisons valoir dans ce mémoire, notamment en citant
+ce récent arrêt de la Cour :
+
+> « lorsqu’il s’avère qu’une réglementation nationale est de nature à
+> entraver l’exercice de l’une ou de plusieurs libertés fondamentales
+> garanties par le traité elle ne peut bénéficier des exceptions prévues
+> par le droit de l’Union pour justifier cette entrave que dans la
+> mesure où cela est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour
+> assure le respect. Cette obligation de conformité aux droits
+> fondamentaux relève à l’évidence du champ d’application du droit de
+> l’Union et, en conséquence, de celui de la Charte. **L’emploi, par un
+> État membre, d’exceptions prévues par le droit de l’Union pour
+> justifier une entrave à une liberté fondamentale** garantie par le
+> traité doit, dès lors, être considéré, ainsi que Mme l’avocat général
+> l’a relevé au point 46 de ses conclusions, comme **« mettant en oeuvre
+> le droit de l’Union »**, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la
+> Charte. »
+>
+> (CJUE, 3e ch., 30 avr. 2014, Pfleger, C-390/12, §36 ; voir également
+> en ce sens, CJUE, 18 juin 1991, ERT, C-260/89, §43)
+
+Or, précisément, l’État français n’a pu établir une conservation
+généralisée des données qu’en employant une exception prévue par la
+directive 2002/58.
+
+En effet, cette directive prévoit que, en principe, les opérateurs
+doivent supprimer les données de connexion qu’ils traitent. Ce n’est que
+par l’exception prévue à l’article 15 de la directive que les États
+membres peuvent déroger à ce principe, au nom, notamment, de la sécurité
+nationale.
+
+Il n’y a dès lors aucun doute sur le fait que le régime français de
+conservation généralisée met en œuvre le droit de l’Union, à travers
+cette exception prévue à l’article 15 de la directive ePrivacy. La
+Charte est donc applicable : le régime français de conservation des
+données de connexion n’est valide qu’à condition de respecter les droits
+fondamentaux garantis par la Charte telle qu’interprétée par la Cour de
+justice.
+
+Voilà pour les explications. Le [mémoire] est assez court, n’hésitez pas
+à aller le lire :-) Et nous vous tiendrons bien sûr informé de la
+réponse que nous fera le gouvernement…
+
+------------------------------------------------------------------------
+
+[Lire tous les documents de cette procédure][La procédure]
+
+[^1]: Vous n’imaginez pas ce que ça coûte à un avocat de commencer par
+    écrire sur le fond, normalement on soulève tout un tas de moyens
+    avant la défense au fond ;-)
+
+[^2]: Le délai peut varier. C’est plus long si le requérant est situé
+    dans un département ou un territoire d’outre-mer. C’est encore un
+    peu plus long si le requérant est situé à l’étranger.
+
+  [à peine déposés]: https://exegetes.eu.org/renseignement-offensive-conseil-detat-et-qpc/
+  [mémoire]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/2016-05-17-complement-charte.pdf
+  [la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne]: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12010P
+  [allant carrément dans l’absurde]: https://twitter.com/AntoniaLatsch/status/719872036097683460
+  [rapport]: http://www.iocco-uk.info/docs/2015%20Half-yearly%20report%20%28web%20version%29.pdf
+  [contre la LPM]: https://exegetes.eu.org/dossiers/#loi-de-programmation-militaire-lpm-sur-laccs-administratif-aux-donnes-de-connexion
+  [la loi renseignement]: https://exegetes.eu.org/dossiers/#dcrets
+  [recours en excès de pouvoir]: https://fr.wikipedia.org/wiki/Recours_pour_exc%C3%A8s_de_pouvoir_en_France
+  [Alitalia]: http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Les-decisions-les-plus-importantes-du-Conseil-d-Etat/3-fevrier-1989-Compagnie-Alitalia
+  [Digital Rights Ireland et Seitlinger]: http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?num=C-293/12
+  [demandé au gouvernement d’abroger]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/demande/2015-04-27-demande.pdf
+  [requête introductive]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/2015-09-01-recours.pdf
+  [mémoire ampliatif]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/2015-11-27-complement1.pdf
+  [La procédure]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/
+  [sa décision]: https://exegetes.eu.org/recours/lpm/CEtat/2016-02-12-Decision%20CE%20-%20388.1343%20LPM.pdf
+  [réaction]: https://www.laquadrature.net/fr/conseil-etat-donnees-connexion%20
+  [étude mentionnée par Le Monde]: http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/05/18/les-metadonnees-telephoniques-revelent-des-informations-tres-privees_4921532_4408996.html
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+excerpt: Chez les exégètes amateurs, le rythme est soutenu. Nos mémoires dans la procédure contre les décrets de la loi renseignement à peine déposés, nous dédions notre attention au dépôt d’un nouveau mémoire sur l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de l’UE
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+pub_date: 2016-05-20
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+title: De l’applicabilité de la Charte à la rétention généralisée de données