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123456789101112131415161718192021222324252627282930313233343536373839404142434445464748495051525354555657585960616263646566676869707172737475767778798081828384858687888990919293949596979899100101102103104105106107108109110111112113114115116117118119120121122123124125126127128129130131132133134135136137138139140141142143144145146147148149150151152153154155156157158159160161162163164165166167168169170171172173174175176177178179180181182183184185186187188189190191192193194195196197198199200201202203204205206207208209210211212213214215216217218219220221222223224225226227228229230231232233234235236237238239240241242243244245246247248249250251252253254255256257258259260261262263264265266267268269270271272273274275276277278279280281282283284285286287
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  2. excerpt: Chez les exégètes amateurs, le rythme est soutenu. Nos mémoires dans la procédure contre les décrets de la loi renseignement à peine déposés, nous dédions notre attention au dépôt d’un nouveau mémoire sur l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de l’UE
  3. ---
  4. pub_date: 2016-05-20
  5. ---
  6. comments: true
  7. tags:
  8. - rétentionDesDonnées
  9. - CEtat
  10. ---
  11. title: De l’applicabilité de la Charte à la rétention généralisée de données
  12. ---
  13. body:
  14. Chez les exégètes amateurs, le rythme est soutenu. Nos mémoires dans la
  15. procédure contre les décrets de la loi renseignement [à peine déposés],
  16. nous dédions notre attention au dépôt d’un nouveau [mémoire] dans la
  17. procédure contre le refus tacite du gouvernement d’abroger les
  18. dispositions règlementaires organisant le régime de conservation des
  19. données de connexion par les intermédiaires techniques.
  20. Si vous n’avez rien compris à la fin de cette dernière phrase,
  21. rassurez-vous ! La plupart d’entre nous n’a rien compris non plus la
  22. première fois qu’un exégète proposa de se pencher dessus.
  23. Alors, on va d’abord faire un petit point sur la procédure dans laquelle
  24. ce dernier mémoire s’inscrit avant de vous décrire le pourquoi de ce
  25. nouveau mémoire et son contenu.
  26. Avertissement : ce billet est plein de digressions et de points de
  27. droit. Mais vous allez peut-être apprendre des trucs. C’est pour ça
  28. qu’on a fait ce site et c’est pour ça que nous publions nos mémoires.
  29. Contexte
  30. ========
  31. Après les attentats de Madrid en mars 2004 et de Londres en juillet
  32. 2005, l’Union européenne adopta la directive 2006/24/CE, créant un
  33. principe de conservation généralisée des données de connexion, pour une
  34. durée allant de six mois à deux ans.
  35. À l’époque, les critiques dénonçant l’incompatibilité de ces
  36. dispositions avec le respect des droits fondamentaux furent nombreuses.
  37. Plusieurs lois de transposition nationales furent ainsi déclarées
  38. inconstitutionnelles en Roumanie (2009), en Allemagne (2010), en
  39. Bulgarie (2010), à Chypre (2011) et en République Tchèque (2011).
  40. Finalement, le 8 avril 2014, la Cour de justice de l’Union européenne
  41. (CJUE) jugeait dans l’arrêt Digital Rights que ladite directive était
  42. invalide car contraire à [la Charte des droits fondamentaux de l’Union
  43. européenne].
  44. Pourtant, les dispositions françaises de conservation des données de
  45. connexion par les intermédiaires techniques subsistent. L’invalidation
  46. de la directive européenne n’a pas entrainé automatiquement celle des
  47. dispositions françaises.
  48. Point sur la procédure contre le refus d’abrogation de la rétention des données
  49. ===============================================================================
  50. La rétention généralisée des données de connexion
  51. -------------------------------------------------
  52. Tout d’abord, sur le fond[^1], cette procédure vise à mettre fin au
  53. régime français qui impose aux intermédiaires techniques (opérateurs et
  54. hébergeurs) de conserver des données sur tout le monde pendant un an.
  55. Pourquoi impose-t-on cela aux intermédiaires ? Au cas où dans les 365
  56. jours qui suivent, l’autorité (administrative ou judiciaire)
  57. souhaiterait y accéder. La logique de cette mesure imposée aux
  58. intermédiaires techniques, c’est qu’on ne peut pas savoir à l’avance qui
  59. va être soupçonné de quoi ; donc, il faut garder des données sur tout le
  60. monde.
  61. Récemment, le gouvernement français est intervenu devant la Cour de
  62. justice de l’Union européenne pour défendre le principe de la rétention
  63. généralisée des données de connexion. Pendant son intervention, le
  64. gouvernement a poussé sa logique encore plus loin en [allant carrément
  65. dans l’absurde] : en gardant des données sur tout le monde, il estime
  66. qu’on peut aussi s’en servir pour les droits de la défense, pour
  67. permettre au suspect de prouver son innoncence ! En droit, c’est le
  68. monde à l’envers : la fin de la présomption d’innocence. On ne doit plus
  69. prouver la culpabilité du suspect, c’est désormais au suspect de montrer
  70. qu’il est innocent.
  71. Pendant ce temps, cette suspicion généralisée n’a toujours pas fait
  72. preuve de son efficacité au-delà des discours politiques, tandis que le
  73. [rapport] de l’homologue britannique de la CNCTR démontre que la
  74. rétention généralisée des données engendre de nombreuses erreurs portant
  75. parfois sur des accusations extrêmement graves.
  76. La procédure contre le refus tacite d’abrogation
  77. ------------------------------------------------
  78. Pour remettre en cause les lois françaises imposant aux intermédiaires
  79. la rétention des données de connexion, nous avons utilisé une procédure
  80. peu habituelle.
  81. Si vous suivez un petit peu ce qu’on a fait [contre la LPM] ou ce qu’on
  82. fait contre [la loi renseignement], vous savez que toute personne peut
  83. saisir le Conseil d’État d’un [recours en excès de pouvoir] contre le
  84. gouvernement qui prend un décret. L’un des axes d’attaque pour démontrer
  85. l’illégalité du décret est le manque de base légale. Ce manque de base
  86. légale peut notamment résulter de l’invalidité de la loi que le décret
  87. applique. Cette invalidité peut elle-même résulter notamment de
  88. l’incompatibilité de la loi avec la Constitution — il faudra alors faire
  89. une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) — ou encore de
  90. l’incompatibilité de la loi avec le droit de l’Union européenne, la
  91. Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ou avec un
  92. autre traité international.
  93. Or ici, ce n’est pas ce qu’on fait. Pourquoi ? Simplement pour une
  94. question de délai. En effet, on ne peut pas saisir le Conseil d’État
  95. lorsque le décret a été publié il y a plus de deux mois[^2] — c’est la
  96. forclusion.
  97. Alors il y a une autre possibilité. Cette voie alternative est ouverte
  98. depuis 1989 par l’arrêt [Alitalia] du Conseil d’État. Elle consiste à
  99. demander au gouvernement d’abroger une disposition règlementaire (par
  100. exemple, un décret). Si cette disposition règlementaire est contraire au
  101. droit (par exemple, une décision de la Cour de justice de l’Union
  102. européenne), alors le gouvernement est tenu d’abroger la disposition en
  103. cause.
  104. Si le gouvernement ne le fait pas, cela signifie qu’il laisse subsister
  105. dans l’ordre juridique une illégalité. Le remède consiste à attaquer la
  106. décision de ne pas corriger cette illégalité.
  107. Telle est la situation sur le régime français de rétention généralisée
  108. des données de connexion, suite à l’arrêt [Digital Rights Ireland et
  109. Seitlinger] de la Cour de justice de l’Union européenne rendu en avril
  110. 2014.
  111. Le 27 avril 2015, FDN, La Quadrature du Net et FFDN ont donc [demandé au
  112. gouvernement d’abroger] l’article R. 10-13 du code des postes et des
  113. communications électroniques ainsi que le décret n° 2011-219 du 25
  114. février 2011 pris en application de la LCEN.
  115. Nous avons reçu une réponse comme quoi le dossier avait été transmis au
  116. ministère de la justice. Puis, rien. Le délai légal de deux mois pour
  117. répondre s’est écoulé, sans retour du ministère. S’ouvrait alors un
  118. autre délai de deux mois pour saisir le Conseil d’État et contester le
  119. refus tacite du gouvernement d’abroger les dispositions invalides en
  120. cause.
  121. Nous avons donc déposé une [requête introductive], dans laquelle nous
  122. avons annoncé la production ultérieure d’un [mémoire ampliatif] dans un
  123. délai de 3 mois.
  124. Depuis le 27 novembre 2015, le gouvernement a eu la possibilité de nous
  125. répondre. Il ne l’a toujours pas fait.
  126. [La procédure] suit son cours. Privacy International et le Center for
  127. Democracy and Technology nous ont rejoint par une tierce intervention,
  128. en déposant des mémoires venant appuyer nos demandes.
  129. Pour ne pas rester dans l’attente, nous avons donc décidé de remettre
  130. les mains sur le dossier et de produire un mémoire précis sur un point
  131. de droit.
  132. Résumé sur le mémoire complémentaire relatif à l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de l’UE
  133. ===========================================================================================================
  134. Ce petit billet est plein de digressions. En voici encore une.
  135. Pourquoi avons-nous fait ce mémoire sur ce point si précis ? Pour le
  136. comprendre, il faut remonter à notre précédente procédure, celle contre
  137. le décret d’application de l’article 20 de la loi de programmation
  138. militaire, dite LPM (dont on retrouve des bouts dans la loi
  139. renseignement, intégrés au chapitre *accès aux données* de connexion du
  140. code de la sécurité intérieure).
  141. Bien qu’il s’agissait d’accès aux données par les services de
  142. renseignement et non de *conservation imposée* aux intermédiaires
  143. techniques, les deux questions sont liées. Dans ce recours, nous avions
  144. donc déjà abordé la question de la jurisprudence de la Cour de justice
  145. de l’Union européenne au soutien de nos arguments.
  146. Mais dans [sa décision], le Conseil d’État a totalement esquivé la
  147. question de l’applicabilité de la [Charte][la Charte des droits
  148. fondamentaux de l’Union européenne] des droits fondamentaux de l’Union
  149. européenne (voir la [réaction] de La Quadrature du Net). Il s’est ainsi
  150. autorisé à ne tirer aucune conséquence des récents arrêts de la Cour de
  151. justice de l’Union européenne basés sur l’application de cette Charte.
  152. Exit la décision *Digital Rights Ireland*. Exit la décision *Schrems*
  153. d’octobre 2015. Comme si ces décisions n’avaient pas existé et que la
  154. Cour de justice n’avait pas clairement remis en cause l’absence de
  155. garanties fortes et de limitations importantes aux mesures des États
  156. consistant à accéder à des données de connexion — données dont le
  157. caractère intrusif et révélateur de la vie privée des personnes a
  158. maintes fois été démontré (voir encore récemment cette [étude mentionnée
  159. par Le Monde] qui se concentre sur les données de connexion relatives à
  160. la téléphonie).
  161. C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer un court mémoire à la
  162. démonstration de l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de
  163. l’Union européenne au dispositif français de conservation des données.
  164. Il s’agit, d’une part, d’anticiper une potentielle réponse du
  165. gouverne-ment qui ne manquera probablement pas d’insister sur l’aspect
  166. « sauvegarde de la sécurité nationale » pour tenter de démontrer que
  167. l’obligation de rétention des données n’est pas concernée par l’ordre
  168. juridique de l’Union européenne.
  169. Il s’agit, d’autre part, de mettre le Conseil d’État face à ses
  170. obligations : le Conseil d’État doit faire l’application du droit
  171. européen tel qu’il s’impose à lui et tel qu’interprété par la Cour de
  172. justice de l’Union européenne. Or, comme pour toute juridiction dont les
  173. décisions ne sont pas susceptibles de recours en droit interne, le
  174. Conseil d’État a l’obligation de faire un renvoi préjudiciel à la Cour
  175. de justice dans le cas où sa décision dépendrait d’une difficile et
  176. sérieuse question d’interprétation du droit de l’UE.
  177. Toutefois, nous pensons qu’il n’y a ici aucune question
  178. d’interprétation, puisque la Cour de justice a déjà apporté des réponses
  179. absolument claires sur l’applicabilité de la Charte. Ce sont les
  180. arguments que nous faisons valoir dans ce mémoire, notamment en citant
  181. ce récent arrêt de la Cour :
  182. > « lorsqu’il s’avère qu’une réglementation nationale est de nature à
  183. > entraver l’exercice de l’une ou de plusieurs libertés fondamentales
  184. > garanties par le traité elle ne peut bénéficier des exceptions prévues
  185. > par le droit de l’Union pour justifier cette entrave que dans la
  186. > mesure où cela est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour
  187. > assure le respect. Cette obligation de conformité aux droits
  188. > fondamentaux relève à l’évidence du champ d’application du droit de
  189. > l’Union et, en conséquence, de celui de la Charte. **L’emploi, par un
  190. > État membre, d’exceptions prévues par le droit de l’Union pour
  191. > justifier une entrave à une liberté fondamentale** garantie par le
  192. > traité doit, dès lors, être considéré, ainsi que Mme l’avocat général
  193. > l’a relevé au point 46 de ses conclusions, comme **« mettant en oeuvre
  194. > le droit de l’Union »**, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la
  195. > Charte. »
  196. >
  197. > (CJUE, 3e ch., 30 avr. 2014, Pfleger, C-390/12, §36 ; voir également
  198. > en ce sens, CJUE, 18 juin 1991, ERT, C-260/89, §43)
  199. Or, précisément, l’État français n’a pu établir une conservation
  200. généralisée des données qu’en employant une exception prévue par la
  201. directive 2002/58.
  202. En effet, cette directive prévoit que, en principe, les opérateurs
  203. doivent supprimer les données de connexion qu’ils traitent. Ce n’est que
  204. par l’exception prévue à l’article 15 de la directive que les États
  205. membres peuvent déroger à ce principe, au nom, notamment, de la sécurité
  206. nationale.
  207. Il n’y a dès lors aucun doute sur le fait que le régime français de
  208. conservation généralisée met en œuvre le droit de l’Union, à travers
  209. cette exception prévue à l’article 15 de la directive ePrivacy. La
  210. Charte est donc applicable : le régime français de conservation des
  211. données de connexion n’est valide qu’à condition de respecter les droits
  212. fondamentaux garantis par la Charte telle qu’interprétée par la Cour de
  213. justice.
  214. Voilà pour les explications. Le [mémoire] est assez court, n’hésitez pas
  215. à aller le lire :-) Et nous vous tiendrons bien sûr informé de la
  216. réponse que nous fera le gouvernement…
  217. ------------------------------------------------------------------------
  218. [Lire tous les documents de cette procédure][La procédure]
  219. [^1]: Vous n’imaginez pas ce que ça coûte à un avocat de commencer par
  220. écrire sur le fond, normalement on soulève tout un tas de moyens
  221. avant la défense au fond ;-)
  222. [^2]: Le délai peut varier. C’est plus long si le requérant est situé
  223. dans un département ou un territoire d’outre-mer. C’est encore un
  224. peu plus long si le requérant est situé à l’étranger.
  225. [à peine déposés]: https://exegetes.eu.org/renseignement-offensive-conseil-detat-et-qpc/
  226. [mémoire]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/2016-05-17-complement-charte.pdf
  227. [la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne]: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12010P
  228. [allant carrément dans l’absurde]: https://twitter.com/AntoniaLatsch/status/719872036097683460
  229. [rapport]: http://www.iocco-uk.info/docs/2015%20Half-yearly%20report%20%28web%20version%29.pdf
  230. [contre la LPM]: https://exegetes.eu.org/dossiers/#loi-de-programmation-militaire-lpm-sur-laccs-administratif-aux-donnes-de-connexion
  231. [la loi renseignement]: https://exegetes.eu.org/dossiers/#dcrets
  232. [recours en excès de pouvoir]: https://fr.wikipedia.org/wiki/Recours_pour_exc%C3%A8s_de_pouvoir_en_France
  233. [Alitalia]: http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Les-decisions-les-plus-importantes-du-Conseil-d-Etat/3-fevrier-1989-Compagnie-Alitalia
  234. [Digital Rights Ireland et Seitlinger]: http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?num=C-293/12
  235. [demandé au gouvernement d’abroger]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/demande/2015-04-27-demande.pdf
  236. [requête introductive]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/2015-09-01-recours.pdf
  237. [mémoire ampliatif]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/2015-11-27-complement1.pdf
  238. [La procédure]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/
  239. [sa décision]: https://exegetes.eu.org/recours/lpm/CEtat/2016-02-12-Decision%20CE%20-%20388.1343%20LPM.pdf
  240. [réaction]: https://www.laquadrature.net/fr/conseil-etat-donnees-connexion%20
  241. [étude mentionnée par Le Monde]: http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/05/18/les-metadonnees-telephoniques-revelent-des-informations-tres-privees_4921532_4408996.html