123456789101112131415161718192021222324252627282930313233343536373839404142434445464748495051525354555657585960616263646566676869707172737475767778798081828384858687888990919293949596979899100101102103104105106107108109110111112113114115116117118119120121122123124125126127128129130131132133134135136137138139140141142143144145146147148149150151152153154155156157158159160161162163164165166167168169170171172173174175176177178179180181182183184185186187188189190191192193194195196197198199200201202203204205206207208209210211212213214215216217218219220221222223224225226227228229230231232233234235236237238239240241242243244245246247248249250251252253254255256257258259260261262263264265266267268269270271272273274275276277278279280281282283284285286287 |
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- excerpt: Chez les exégètes amateurs, le rythme est soutenu. Nos mémoires dans la procédure contre les décrets de la loi renseignement à peine déposés, nous dédions notre attention au dépôt d’un nouveau mémoire sur l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de l’UE
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- pub_date: 2016-05-20
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- comments: true
- tags:
- - rétentionDesDonnées
- - CEtat
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- title: De l’applicabilité de la Charte à la rétention généralisée de données
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- body:
- Chez les exégètes amateurs, le rythme est soutenu. Nos mémoires dans la
- procédure contre les décrets de la loi renseignement [à peine déposés],
- nous dédions notre attention au dépôt d’un nouveau [mémoire] dans la
- procédure contre le refus tacite du gouvernement d’abroger les
- dispositions règlementaires organisant le régime de conservation des
- données de connexion par les intermédiaires techniques.
- Si vous n’avez rien compris à la fin de cette dernière phrase,
- rassurez-vous ! La plupart d’entre nous n’a rien compris non plus la
- première fois qu’un exégète proposa de se pencher dessus.
- Alors, on va d’abord faire un petit point sur la procédure dans laquelle
- ce dernier mémoire s’inscrit avant de vous décrire le pourquoi de ce
- nouveau mémoire et son contenu.
- Avertissement : ce billet est plein de digressions et de points de
- droit. Mais vous allez peut-être apprendre des trucs. C’est pour ça
- qu’on a fait ce site et c’est pour ça que nous publions nos mémoires.
- Contexte
- ========
- Après les attentats de Madrid en mars 2004 et de Londres en juillet
- 2005, l’Union européenne adopta la directive 2006/24/CE, créant un
- principe de conservation généralisée des données de connexion, pour une
- durée allant de six mois à deux ans.
- À l’époque, les critiques dénonçant l’incompatibilité de ces
- dispositions avec le respect des droits fondamentaux furent nombreuses.
- Plusieurs lois de transposition nationales furent ainsi déclarées
- inconstitutionnelles en Roumanie (2009), en Allemagne (2010), en
- Bulgarie (2010), à Chypre (2011) et en République Tchèque (2011).
- Finalement, le 8 avril 2014, la Cour de justice de l’Union européenne
- (CJUE) jugeait dans l’arrêt Digital Rights que ladite directive était
- invalide car contraire à [la Charte des droits fondamentaux de l’Union
- européenne].
- Pourtant, les dispositions françaises de conservation des données de
- connexion par les intermédiaires techniques subsistent. L’invalidation
- de la directive européenne n’a pas entrainé automatiquement celle des
- dispositions françaises.
- Point sur la procédure contre le refus d’abrogation de la rétention des données
- ===============================================================================
- La rétention généralisée des données de connexion
- -------------------------------------------------
- Tout d’abord, sur le fond[^1], cette procédure vise à mettre fin au
- régime français qui impose aux intermédiaires techniques (opérateurs et
- hébergeurs) de conserver des données sur tout le monde pendant un an.
- Pourquoi impose-t-on cela aux intermédiaires ? Au cas où dans les 365
- jours qui suivent, l’autorité (administrative ou judiciaire)
- souhaiterait y accéder. La logique de cette mesure imposée aux
- intermédiaires techniques, c’est qu’on ne peut pas savoir à l’avance qui
- va être soupçonné de quoi ; donc, il faut garder des données sur tout le
- monde.
- Récemment, le gouvernement français est intervenu devant la Cour de
- justice de l’Union européenne pour défendre le principe de la rétention
- généralisée des données de connexion. Pendant son intervention, le
- gouvernement a poussé sa logique encore plus loin en [allant carrément
- dans l’absurde] : en gardant des données sur tout le monde, il estime
- qu’on peut aussi s’en servir pour les droits de la défense, pour
- permettre au suspect de prouver son innoncence ! En droit, c’est le
- monde à l’envers : la fin de la présomption d’innocence. On ne doit plus
- prouver la culpabilité du suspect, c’est désormais au suspect de montrer
- qu’il est innocent.
- Pendant ce temps, cette suspicion généralisée n’a toujours pas fait
- preuve de son efficacité au-delà des discours politiques, tandis que le
- [rapport] de l’homologue britannique de la CNCTR démontre que la
- rétention généralisée des données engendre de nombreuses erreurs portant
- parfois sur des accusations extrêmement graves.
- La procédure contre le refus tacite d’abrogation
- ------------------------------------------------
- Pour remettre en cause les lois françaises imposant aux intermédiaires
- la rétention des données de connexion, nous avons utilisé une procédure
- peu habituelle.
- Si vous suivez un petit peu ce qu’on a fait [contre la LPM] ou ce qu’on
- fait contre [la loi renseignement], vous savez que toute personne peut
- saisir le Conseil d’État d’un [recours en excès de pouvoir] contre le
- gouvernement qui prend un décret. L’un des axes d’attaque pour démontrer
- l’illégalité du décret est le manque de base légale. Ce manque de base
- légale peut notamment résulter de l’invalidité de la loi que le décret
- applique. Cette invalidité peut elle-même résulter notamment de
- l’incompatibilité de la loi avec la Constitution — il faudra alors faire
- une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) — ou encore de
- l’incompatibilité de la loi avec le droit de l’Union européenne, la
- Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ou avec un
- autre traité international.
- Or ici, ce n’est pas ce qu’on fait. Pourquoi ? Simplement pour une
- question de délai. En effet, on ne peut pas saisir le Conseil d’État
- lorsque le décret a été publié il y a plus de deux mois[^2] — c’est la
- forclusion.
- Alors il y a une autre possibilité. Cette voie alternative est ouverte
- depuis 1989 par l’arrêt [Alitalia] du Conseil d’État. Elle consiste à
- demander au gouvernement d’abroger une disposition règlementaire (par
- exemple, un décret). Si cette disposition règlementaire est contraire au
- droit (par exemple, une décision de la Cour de justice de l’Union
- européenne), alors le gouvernement est tenu d’abroger la disposition en
- cause.
- Si le gouvernement ne le fait pas, cela signifie qu’il laisse subsister
- dans l’ordre juridique une illégalité. Le remède consiste à attaquer la
- décision de ne pas corriger cette illégalité.
- Telle est la situation sur le régime français de rétention généralisée
- des données de connexion, suite à l’arrêt [Digital Rights Ireland et
- Seitlinger] de la Cour de justice de l’Union européenne rendu en avril
- 2014.
- Le 27 avril 2015, FDN, La Quadrature du Net et FFDN ont donc [demandé au
- gouvernement d’abroger] l’article R. 10-13 du code des postes et des
- communications électroniques ainsi que le décret n° 2011-219 du 25
- février 2011 pris en application de la LCEN.
- Nous avons reçu une réponse comme quoi le dossier avait été transmis au
- ministère de la justice. Puis, rien. Le délai légal de deux mois pour
- répondre s’est écoulé, sans retour du ministère. S’ouvrait alors un
- autre délai de deux mois pour saisir le Conseil d’État et contester le
- refus tacite du gouvernement d’abroger les dispositions invalides en
- cause.
- Nous avons donc déposé une [requête introductive], dans laquelle nous
- avons annoncé la production ultérieure d’un [mémoire ampliatif] dans un
- délai de 3 mois.
- Depuis le 27 novembre 2015, le gouvernement a eu la possibilité de nous
- répondre. Il ne l’a toujours pas fait.
- [La procédure] suit son cours. Privacy International et le Center for
- Democracy and Technology nous ont rejoint par une tierce intervention,
- en déposant des mémoires venant appuyer nos demandes.
- Pour ne pas rester dans l’attente, nous avons donc décidé de remettre
- les mains sur le dossier et de produire un mémoire précis sur un point
- de droit.
- Résumé sur le mémoire complémentaire relatif à l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de l’UE
- ===========================================================================================================
- Ce petit billet est plein de digressions. En voici encore une.
- Pourquoi avons-nous fait ce mémoire sur ce point si précis ? Pour le
- comprendre, il faut remonter à notre précédente procédure, celle contre
- le décret d’application de l’article 20 de la loi de programmation
- militaire, dite LPM (dont on retrouve des bouts dans la loi
- renseignement, intégrés au chapitre *accès aux données* de connexion du
- code de la sécurité intérieure).
- Bien qu’il s’agissait d’accès aux données par les services de
- renseignement et non de *conservation imposée* aux intermédiaires
- techniques, les deux questions sont liées. Dans ce recours, nous avions
- donc déjà abordé la question de la jurisprudence de la Cour de justice
- de l’Union européenne au soutien de nos arguments.
- Mais dans [sa décision], le Conseil d’État a totalement esquivé la
- question de l’applicabilité de la [Charte][la Charte des droits
- fondamentaux de l’Union européenne] des droits fondamentaux de l’Union
- européenne (voir la [réaction] de La Quadrature du Net). Il s’est ainsi
- autorisé à ne tirer aucune conséquence des récents arrêts de la Cour de
- justice de l’Union européenne basés sur l’application de cette Charte.
- Exit la décision *Digital Rights Ireland*. Exit la décision *Schrems*
- d’octobre 2015. Comme si ces décisions n’avaient pas existé et que la
- Cour de justice n’avait pas clairement remis en cause l’absence de
- garanties fortes et de limitations importantes aux mesures des États
- consistant à accéder à des données de connexion — données dont le
- caractère intrusif et révélateur de la vie privée des personnes a
- maintes fois été démontré (voir encore récemment cette [étude mentionnée
- par Le Monde] qui se concentre sur les données de connexion relatives à
- la téléphonie).
- C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer un court mémoire à la
- démonstration de l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de
- l’Union européenne au dispositif français de conservation des données.
- Il s’agit, d’une part, d’anticiper une potentielle réponse du
- gouverne-ment qui ne manquera probablement pas d’insister sur l’aspect
- « sauvegarde de la sécurité nationale » pour tenter de démontrer que
- l’obligation de rétention des données n’est pas concernée par l’ordre
- juridique de l’Union européenne.
- Il s’agit, d’autre part, de mettre le Conseil d’État face à ses
- obligations : le Conseil d’État doit faire l’application du droit
- européen tel qu’il s’impose à lui et tel qu’interprété par la Cour de
- justice de l’Union européenne. Or, comme pour toute juridiction dont les
- décisions ne sont pas susceptibles de recours en droit interne, le
- Conseil d’État a l’obligation de faire un renvoi préjudiciel à la Cour
- de justice dans le cas où sa décision dépendrait d’une difficile et
- sérieuse question d’interprétation du droit de l’UE.
- Toutefois, nous pensons qu’il n’y a ici aucune question
- d’interprétation, puisque la Cour de justice a déjà apporté des réponses
- absolument claires sur l’applicabilité de la Charte. Ce sont les
- arguments que nous faisons valoir dans ce mémoire, notamment en citant
- ce récent arrêt de la Cour :
- > « lorsqu’il s’avère qu’une réglementation nationale est de nature à
- > entraver l’exercice de l’une ou de plusieurs libertés fondamentales
- > garanties par le traité elle ne peut bénéficier des exceptions prévues
- > par le droit de l’Union pour justifier cette entrave que dans la
- > mesure où cela est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour
- > assure le respect. Cette obligation de conformité aux droits
- > fondamentaux relève à l’évidence du champ d’application du droit de
- > l’Union et, en conséquence, de celui de la Charte. **L’emploi, par un
- > État membre, d’exceptions prévues par le droit de l’Union pour
- > justifier une entrave à une liberté fondamentale** garantie par le
- > traité doit, dès lors, être considéré, ainsi que Mme l’avocat général
- > l’a relevé au point 46 de ses conclusions, comme **« mettant en oeuvre
- > le droit de l’Union »**, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la
- > Charte. »
- >
- > (CJUE, 3e ch., 30 avr. 2014, Pfleger, C-390/12, §36 ; voir également
- > en ce sens, CJUE, 18 juin 1991, ERT, C-260/89, §43)
- Or, précisément, l’État français n’a pu établir une conservation
- généralisée des données qu’en employant une exception prévue par la
- directive 2002/58.
- En effet, cette directive prévoit que, en principe, les opérateurs
- doivent supprimer les données de connexion qu’ils traitent. Ce n’est que
- par l’exception prévue à l’article 15 de la directive que les États
- membres peuvent déroger à ce principe, au nom, notamment, de la sécurité
- nationale.
- Il n’y a dès lors aucun doute sur le fait que le régime français de
- conservation généralisée met en œuvre le droit de l’Union, à travers
- cette exception prévue à l’article 15 de la directive ePrivacy. La
- Charte est donc applicable : le régime français de conservation des
- données de connexion n’est valide qu’à condition de respecter les droits
- fondamentaux garantis par la Charte telle qu’interprétée par la Cour de
- justice.
- Voilà pour les explications. Le [mémoire] est assez court, n’hésitez pas
- à aller le lire :-) Et nous vous tiendrons bien sûr informé de la
- réponse que nous fera le gouvernement…
- ------------------------------------------------------------------------
- [Lire tous les documents de cette procédure][La procédure]
- [^1]: Vous n’imaginez pas ce que ça coûte à un avocat de commencer par
- écrire sur le fond, normalement on soulève tout un tas de moyens
- avant la défense au fond ;-)
- [^2]: Le délai peut varier. C’est plus long si le requérant est situé
- dans un département ou un territoire d’outre-mer. C’est encore un
- peu plus long si le requérant est situé à l’étranger.
- [à peine déposés]: https://exegetes.eu.org/renseignement-offensive-conseil-detat-et-qpc/
- [mémoire]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/2016-05-17-complement-charte.pdf
- [la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne]: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12010P
- [allant carrément dans l’absurde]: https://twitter.com/AntoniaLatsch/status/719872036097683460
- [rapport]: http://www.iocco-uk.info/docs/2015%20Half-yearly%20report%20%28web%20version%29.pdf
- [contre la LPM]: https://exegetes.eu.org/dossiers/#loi-de-programmation-militaire-lpm-sur-laccs-administratif-aux-donnes-de-connexion
- [la loi renseignement]: https://exegetes.eu.org/dossiers/#dcrets
- [recours en excès de pouvoir]: https://fr.wikipedia.org/wiki/Recours_pour_exc%C3%A8s_de_pouvoir_en_France
- [Alitalia]: http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Les-decisions-les-plus-importantes-du-Conseil-d-Etat/3-fevrier-1989-Compagnie-Alitalia
- [Digital Rights Ireland et Seitlinger]: http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?num=C-293/12
- [demandé au gouvernement d’abroger]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/demande/2015-04-27-demande.pdf
- [requête introductive]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/2015-09-01-recours.pdf
- [mémoire ampliatif]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/2015-11-27-complement1.pdf
- [La procédure]: https://exegetes.eu.org/recours/abrogationretention/CEtat/
- [sa décision]: https://exegetes.eu.org/recours/lpm/CEtat/2016-02-12-Decision%20CE%20-%20388.1343%20LPM.pdf
- [réaction]: https://www.laquadrature.net/fr/conseil-etat-donnees-connexion%20
- [étude mentionnée par Le Monde]: http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/05/18/les-metadonnees-telephoniques-revelent-des-informations-tres-privees_4921532_4408996.html
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